Des efforts de rapatriement couronnés de succès
Depuis son entrée en vigueur en mars 2019, la nouvelle réglementation des changes en zone CEMAC a produit des effets économiques mesurables, en particulier concernant le rapatriement des devises. Le gouverneur de la BEAC, Yvon Sana Bangui, a souligné, lors de la 3ème édition de la Finance Week au Cameroun, que la valeur des devises rapatriées par les opérateurs économiques et reversées à la BEAC est passée de 6 201 milliards de FCFA en 2019 à 13 898 milliards de FCFA en 2024. Cette hausse impressionnante, de l’ordre de 75,6%, témoigne non seulement de la montée en puissance du dispositif, mais aussi d’une nette amélioration du contrôle des flux financiers extérieurs.
Cette dynamique est née d’un besoin de rupture. Entre 2014 et 2016, la CEMAC avait été frappée par une crise de liquidité extérieure, exacerbée par la chute des prix du pétrole, les tensions sécuritaires et un relâchement de la discipline réglementaire. Les réserves de change étaient alors tombées à un seuil critique, menaçant la stabilité monétaire de la région. C’est dans ce contexte que la nouvelle réglementation a été adoptée, instaurant un cadre rigoureux de gestion des devises. Pour Yvon Sana Bangui, les preuves de l’efficacité de cette réforme sont “indiscutables”, ayant non seulement renforcé les réserves de change, mais aussi amélioré la traçabilité des opérations internationales, contribuant ainsi à la lutte contre l’évasion fiscale.
Le revers de la médaille : l’envolée des transferts sortants
Cependant, ce succès est tempéré par une réalité préoccupante. Malgré ces efforts de rapatriement de devises, la CEMAC a enregistré, en 2024, 13 409 milliards de FCFA de transferts sortants, soit trois fois plus qu’en 2018. Le paradoxe est saisissant : alors que la CEMAC enregistre des rapatriements records de devises, ces dernières repartent presque aussitôt à l’étranger. Ce flux quasi symétrique entre entrées et sorties affaiblit l’effet stabilisateur recherché par la réglementation et enferme la sous-région dans une mécanique monétaire épuisante.
La rétrocession des devises est une obligation réglementaire fondamentale. Les recettes en devises générées par les exportations doivent être rapatriées dans la zone CEMAC, puis partiellement reversées à la BEAC. Ce mécanisme permet à l’institution d’alimenter ses réserves officielles de change et de maintenir une parité stable du franc CFA. En d’autres termes, des rétrocessions importantes offrent à la Banque centrale plus de marges de manœuvre pour défendre la stabilité monétaire de la zone et éviter un réajustement de la parité avec l’euro.
Défis persistants et perspectives d’évolution
Malgré les progrès, le processus de rapatriement des recettes d’exportation reste incomplet dans certains secteurs, en particulier le secteur extractif. En dépit des injonctions des chefs d’État de la CEMAC, qui ont fixé au 30 avril 2025 l’échéance pour une application stricte des règles, des résistances subsistent. Le gouverneur Bangui a exprimé son regret face à la “complexité et [à] l’interminabilité des échanges avec certaines entreprises pétrolières”, appelant à une responsabilisation accrue des opérateurs. “Tous les assujettis sont invités à rapatrier l’intégralité des réserves d’exportation. C’est par là que nous allons renforcer et solidifier l’autonomie de la zone CEMAC”, a-t-il insisté.
La BEAC ne compte pas pour autant se replier sur une posture rigide. Consciente des contraintes exprimées par les milieux d’affaires, l’institution envisage des concertations avec les acteurs. “La réglementation des changes n’est pas figée. Elle est dynamique et évolutive”, a rappelé Yvon Sana Bangui, insistant sur l’importance du dialogue avec le secteur privé. À plus long terme, la banque centrale ambitionne de moderniser l’ensemble du dispositif à travers le déploiement de plateformes numériques (eTransfer, SwiftScope), le renforcement des contrôles de terrain, et la vulgarisation des textes auprès des assujettis.
Avec Ecomatin.