Un trésor scientifique aux pieds d’argile
Sur le site de la station d’expérimentation rizicole, l’enthousiasme du Dr Moukoumbi Yonnelle Déa est contagieux, mais son constat est amer. Depuis 2019, sur les dix hectares offerts par le ministère de l’Agriculture, seuls trois ont pu être aménagés faute de moyens. C’est ici, avec une équipe réduite à deux assistants de recherche et quelques journaliers, que se prépare pourtant l’avenir de la souveraineté alimentaire du pays. Le projet est d’une importance stratégique : développer des variétés améliorées de riz adaptées au climat gabonais. Et les résultats sont là. La chercheuse confie qu’elle revient de Corée du Sud où l’équipe a présenté ses variétés, lesquelles figurent désormais dans le catalogue officiel KAFACI Nouvelles Variétés de Riz Africain 2025 des variétés homologuées dans tous les pays africains participants au projet riz pour 2025. Les variétés de riz MBOMA, CHEYI, MOUKAFACI 1 sont sollicitées et les deux riz noirs « Made in Gabon », l’Orient noir, font déjà figure de stars internationales.
En effet, les sollicitations viennent des Systèmes de Recherches Nationaux Agricoles de nombreux pays tels que la Tanzanie, l’Ouganda, le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso, la RDC, le Congo-Brazzaville, le Cameroun, etc. L’expertise gabonaise est sollicitée par des organismes internationaux comme l’OAPI, la FAO et des centres internationaux de recherche comme AfricaRice et l’IITA.
Mais le prestige international s’arrête aux frontières de la station. À Kougouleu, le quotidien est loin des laboratoires aseptisés. Depuis un financement unique de 72 millions de FCFA octroyé en 2019 par le regretté ministre Iwangu, suivi en 2020 du financement Okoumé de 25 millions du ministère de la Recherche Scientifique, le soutien de l’État s’est évaporé. Le spectacle est saisissant de paradoxe : alors qu’aucun appui significatif n’a été enregistré de la part des ministères de la Recherche ou de l’Agriculture depuis cinq ans, les infrastructures tombent en ruines. Faute d’entrepôts et de chambre froide, les chercheurs en sont réduits au sauvetage de fortune en stockant les précieuses semences dans des congélateurs domestiques, la science du système D.

Le Dr Moukoumbi déplore qu’ils doivent parfois jeter des échantillons s’ils manquent de place dans ces appareils de secours. C’est une aberration économique majeure quand on sait que le Gabon ambitionne de produire plus de 52 000 tonnes de riz d’ici 2035 pour réduire ses importations massives dans le cadre de la mise en œuvre de la Stratégie Nationale de Développement Rizicole (SNDR) validée en novembre 2024.
Un gisement d’emplois pour la jeunesse


L’or blanc de Kougouleu n’est pas seulement une affaire de grains de riz ; c’est une promesse de développement industriel. Le programme prévoit la formation de toute une chaîne de métiers, incluant des agri-multiplicateurs spécialisés dans la production de semences commerciales, des riziers experts du traitement post-récolte, des spécialistes de la transformation et de l’étuvage du riz ainsi que des artisans dédiés à la fabrication locale de petit outillage comme les bineuses, les sarcleuses, les égreneuses, les batteuses ou les vanneuses. L’année dernière, quarante jeunes ont été formés avec l’appui de la coopération japonaise (JICA) et l’association des étudiants et fonctionnaires formés au Japon, mais faute de budget, le suivi est aujourd’hui impossible. La chercheuse s’interroge sur la manière d’intéresser les jeunes si le cadre de travail reste choquant, et elle appelle à une véritable volonté politique pour changer la donne.
L’appel au sommet de l’État
Alors que le discours officiel prône le retour des expertises nationales expatriées, le Dr Moukoumbi, revenue au pays après cinq années passées à la FAO RDC comme expert international en technologies semencières et responsable de l’unité semence qui a bâti ce programme, refuse de baisser les bras. Elle interpelle aujourd’hui les décideurs : l’homologation est signée, le catalogue national est en cours et les Gabonais consomment chaque année davantage de riz, avec une moyenne dépassant les 44 kg par personne. L’or blanc est là, sous nos yeux, à Kougouleu. Il ne lui manque plus qu’un toit, des infrastructures et un véritable soutien pour nourrir enfin le pays.










