Par Guillou Bitsutsu-Gielessen
Le Gabon cherche à réduire sa dépendance vis-à-vis des multinationales étrangères, souvent accusées de capter une part disproportionnée des richesses nationales. Le pétrole, par exemple, représente 70 % des exportations et 45 % du PIB, mais ses retombées pour la population sont restées limitées.
Une stratégie de réappropriation ciblée
Contrairement à des nationalisations autoritaires, l’État gabonais privilégie des négociations “gagnant-gagnant” avec les entreprises déjà établies. L’exemple du rachat d’Assala, après l’exercice du droit de préemption face à Maurel & Prom, en est une illustration.
Cette stratégie sectorielle priorise les hydrocarbures (pétrole) et les minerais critiques (manganèse, cuivre), avec l’ambition de monter en gamme dans les chaînes de valeur. L’objectif clair du nouveau régime est de se “réapproprier” les ressources naturelles (pétrole, minerais, forêts) et d’en redistribuer équitablement les bénéfices.
Malgré un contexte économique difficile, marqué par une dette publique élevée (70,5 % du PIB) et un déficit budgétaire croissant (prévu à 5,1 % en 2025),m.. Et bien que le FMI anticipe une croissance modeste (2,9 % en 2024, 2,7 % en 2025), soulignant que la nationalisation, à elle seule, ne suffira pas sans des réformes structurelles profondes.
le gouvernement mène cette politique de réappropriation avec une volonté politique dotée d’une réelle détermination. Cette politique est soutenue par la grande majorité du peuple.
Des acquisitions stratégiques et coûteuses
*Quoi qu’il en coûte le nouveau régime tient dans cette politique de nationalisation malgré des coûts significatifs* ( avec un prix jugé surévalué pour Assala (estimé à 700-800 millions de dollars par les experts contre 1,3 milliard payé via un prêt à rembourser sur 5 ans auprès de Gunvor).
Le gouvernement prévoit d’emprunter 902 milliards de FCFA en 2025 pour financer ces acquisitions.
Dans le secteur pétrolier, on note le rachat d’Assala Energy pour 1,3 milliard de dollars, conférant à l’État le contrôle de 70 000 barils/jour.
S’y ajoute l’acquisition de Tullow Oil Gabon pour 300 millions de dollars, ajoutant 12 200 barils/jour à la production nationale.
La reprise de SMP Afrique, une entreprise française spécialisée dans le forage pétrolier, renforce également les capacités techniques locales.
L’impact de ces acquisitions est significatif : la production gérée par la Gabon Oil Company (GOC) atteint désormais 82 000 barils/jour.
Dans le domaine minier, la Société équatoriale des mines (SEM) est devenue actionnaire majoritaire de la Raffinerie gabonaise de l’or, consolidant la mainmise de l’État sur ce secteur.
Concernant les services et le transport, on observe la création de Fly Gabon, qui a acquis 56 % du capital d’Afrijet, la principale compagnie aérienne privée du pays. Dans la distribution, une prise de participation de 35 % a été effectuée dans Ceca-Gadis, leader au Gabon, et des actifs hôteliers ont été repris pour dynamiser le tourisme.
La création de Taxi Gab vise à se réapproprier l’artisanat du taxi, souvent aux mains d’étrangers.
Dans le secteur du bois, la reprise en 2025 de la Société Nationale des Bois du Gabon (SNBG), précédemment vendue à bas prix, marque la volonté de restaurer la souveraineté sur cette ressource stratégique.
Perspectives de développement et défis à relever
Au-delà des nationalisations, le gouvernement gabonais envisage des projets structurants pour transformer l’économie. Parmi ceux-ci, l’exploitation du fer de Belinga, la construction du barrage hydroélectrique de Boué, la création de la ligne de chemin de fer reliant Belinga à Mayumba, et la construction du port en eau profonde de Mayumba.
La fin des exportations de manganèse est prévue pour 2029, afin de transformer le minerai localement et créer de la valeur ajoutée.
L’arrêt des importations de poulet, programmé pour 2027, vise à booster l’élevage et la production locale.
Un autre défi majeur sera de s’assurer que les nationaux prennent le contrôle des épiceries, du commerce et de la distribution des produits alimentaires, un commerce estimé à près de 700 milliards de francs CFA et encore largement aux mains d’étrangers.
D’autres secteurs seront également concernés par cette stratégie. Il est déjà envisageable le retour dans le giron national de Gabon Télécom, UGB, BICIG, SMAG. Et il est souhaitable que la participation de l’État dans le capital de la Comilog augmente de 28% à 51%.
En résumé, si la nationalisation incarne une rupture symbolique et une quête de souveraineté, son succès durable dépendra de plusieurs facteurs essentiels : une gestion rigoureuse des entreprises publiques, une lutte implacable contre la corruption, et une diversification économique au-delà des seuls secteurs extractifs. Cela passe par un développement accru de l’agro-industrie et du BTP, ainsi que par une transparence accrue pour attirer les investissements étrangers sans sacrifier la souveraineté nationale.