Un état des lieux alarmant
Le diagnostic est sévère. En 2023, avec une capacité électrique installée de 704 MW (dont près de la moitié thermique, coûteuse et polluante) face à une demande nationale écrasante estimée à 11 000 MW, le Gabon suffoque énergétiquement. Conséquence directe : en 2024, seuls 60 % de nos compatriotes bénéficient d’un approvisionnement jugé fiable. Le réseau de transport est à bout de souffle, incapable d’acheminer toute l’énergie produite, comme l’illustre la sous-exploitation du barrage de Poubara (80 MW utilisés sur 160 MW disponibles). Les équipements, hérités d’une époque révolue (groupes thermiques trentenaires, hydroélectriques cinquantenaires), multiplient les pannes. Il faut le dire, vingt ans de concession sous Veolia, davantage focalisée sur les dividendes que sur les investissements d’avenir pour anticiper une demande croissante, ont laissé une SEEG techniquement dépassée, avec un retard d’investissement colossal.
Des solutions d’urgence nécessaires mais insuffisantes
Face à cette crise, des mesures d’urgence ont été prises : importation de 10 MW depuis la Guinée Équatoriale pour le Nord, recours à des centrales flottantes (fournissant 70 MW à Libreville pour un coût mensuel exorbitant de 1,8 milliard FCFA), acquisition de générateurs… Si ces initiatives soulagent temporairement, elles ne règlent en rien le problème de fond et pèsent lourdement sur les finances publiques.
Une stratégie multidimensionnelle pour une sortie de crise durable
La véritable solution réside dans une approche globale et volontariste, articulée autour de plusieurs axes majeurs :
• Un Plan Stratégique d’Investissement Massif (2025-2027) : Chiffré entre 1 000 milliards de FCFA (Grand Libreville) et 3 000 milliards (échelle nationale), ce plan est vital pour combler le déficit énergétique, moderniser les réseaux et, crucialement, améliorer la desserte en eau potable (556,7 milliards prévus sur 2024-2026 pour construire les usines de Ntoum et Kango et renforcer Port-Gentil et Lambaréné).
• Modernisation Impérative des Infrastructures : Le remplacement des équipements obsolètes et le renforcement des centrales existantes (Alénakiri, Cap-Lopez) sont prioritaires. Un plan de maintenance préventive rigoureux, en lien avec la Société de Patrimoine, doit mettre fin aux pannes récurrentes. Des projets structurants comme la centrale à gaz de Mayumba (50 milliards FCFA pour la 1ère phase) et le futur barrage de Booué (lié au projet Belinga) sont essentiels pour l’avenir énergétique du pays.
• Réformes de gouvernance et transparence : Aucun investissement ne sera efficace sans une refonte profonde de la gouvernance de la SEEG. Un audit complet pour identifier gaspillages et fraudes est indispensable. La nouvelle équipe dirigeante doit instaurer une culture de la performance, digitaliser les processus et appliquer une tolérance zéro face à la corruption via une direction anti-fraude dédiée.
• Restructuration pour l’efficacité : Suivant la vision du Chef de l’État, la séparation distincte des pôles Eau et Électricité, ainsi que des fonctions production, transport et distribution, s’impose pour améliorer l’efficacité et la responsabilité. Tout en conservant la SEEG comme patrimoine national, l’ouverture maîtrisée à des partenariats public-privé (PPP) doit être encouragée, plutôt qu’une libéralisation totale qui pourrait nuire à l’intérêt national
• Mobilisation des financements : Les besoins sont immenses. Les PPP sont la clé pour financer les grands projets (Mayumba, Ntoum, Kango). Il est également crucial que l’État honore ses propres dettes envers la SEEG et que cette dernière règle ses arriérés fournisseurs pour restaurer la confiance et la capacité d’action. L’appui des bailleurs de fonds internationaux sera déterminant, car le chemin est long (seulement 12 milliards mobilisés sur 556,7 pour l’eau à ce jour).
• Accompagnement social et transition énergétique : Réconcilier les Gabonais avec leur compagnie d’eau et d’électricité passe par la sensibilisation et des programmes visant à améliorer le recouvrement et réduire les pertes (“Un Gabonais, un compteur”). Parallèlement, l’investissement dans les énergies renouvelables (hydroélectricité, solaire) doit être accéléré pour réduire les coûts et l’impact environnemental.
Conclusion
Sortir la SEEG de l’ornière est un chantier titanesque qui exigera du temps, de la persévérance et des moyens considérables. Il ne réussira que par une combinaison de transparence absolue, d’investissements stratégiques, de réformes courageuses et d’innovations technologiques. L’engagement politique sans faille, la mobilisation de tous les acteurs économiques et financiers, et l’adhésion citoyenne sont les conditions indispensables pour réussir cette transformation vitale. C’est à ce prix que nous garantirons un accès durable et équitable à l’eau et à l’énergie pour tous, socle essentiel du développement économique et social tant attendu de notre pays.