Le Gabon à la COP 30 : entre ambitions et leadership à consolider
Comme nous le soulignions dans une précédente publication, l’Accord de Paris, bien que ratifié par un plus grand nombre d’États, n’a malheureusement pas atteint les objectifs fixés dix ans plus tôt. L’objectif phare du maintien de la hausse de la température à +1,5°C semble désormais surréaliste. Pour faire face à cette désillusion, les États devront renforcer leurs engagements, non seulement en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi en matière de financement de l’adaptation pour les pays les plus vulnérables. Dans ce contexte, quelles pourraient être les nouvelles ambitions pour le Gabon ?
Le Gabon dans le bassin du Congo
Le Gabon, avec plus de 85 % de son territoire couvert de forêts, est au cœur du bassin du Congo, deuxième poumon vert de la planète après l’Amazonie. Ces forêts jouent un rôle essentiel dans la séquestration du carbone et la régulation du climat mondial. À la COP30, le Gabon pourrait se positionner comme porte-parole de la région, en défendant une meilleure valorisation des efforts de conservation et en plaidant pour des mécanismes financiers plus équitables. Avec un taux d’émissions à peine équivalent au tiers de ses capacités de séquestration, le Gabon est reconnu carbone négatif. Malheureusement, comme d’autres pays du Bassin du Congo, cette reconnaissance ne lui permet pas de monnayer ses puits de carbone.
Quelles priorités pour le Gabon ?
Au regard de ses engagements renouvelés, certaines initiatives entièrement financées par des capitaux extérieurs sont essentiellement tournées vers l’atténuation (baisse des émissions de gaz à effet de serre), mais très peu vers l’adaptation (prise en compte des effets des changements climatiques dans les politiques publiques). Le pays connaît de graves retards en matière d’infrastructures, d’adduction d’eau potable et de fourniture en électricité. L’aménagement du territoire, l’agriculture, la construction des infrastructures sont autant de secteurs affectés par le dérèglement climatique, mais dont les menaces ne sont pas jugées à leur juste mesure. Face à ces difficultés, la COP 30 ouvre des opportunités pour le Gabon de proposer aux investisseurs un portefeuille de projets en harmonie avec les principaux axes de la négociation, à savoir :
Crédits carbone forestiers : le Gabon a été le point d’élaboration de la soumission globale à l’initiative de la Réduction des Émissions dues à la Déforestation et à la Dégradation des Forêts (REDD+). Il bénéficie du programme Initiative pour la Forêt d’Afrique Centrale (CAFI), un financement de 90 milliards de FCFA accordés par la Norvège, en vue de soutenir ses efforts en matière de conservation et de changements climatiques. Le pays s’est engagé à promouvoir la gestion durable des forêts à travers la certification du Forest Stewardship Council (FSC), qui garantit des pratiques responsables sur les plans environnementaux et sociaux. Pour couronner ses efforts, le Gabon songerait à développer un système certifié et transparent pour la vente des crédits carbone issus de la préservation de ses forêts.
Énergies renouvelables : le Gabon devrait davantage miser sur le potentiel hydroélectrique de son bassin hydrographique, diversifier l’installation des panneaux solaires dans les zones rurales et développer la biomasse durable.
Dans le cadre de l’efficacité énergétique, il faudra continuer la modernisation des infrastructures de la SEEG, pour réduire les pertes d’énergie. Le budget de l’État ne pouvant supporter tous les projets, il faudrait encourager les investissements privés, afin de partager les coûts avec l’État à travers les partenariats public-privé (PPP). Le déficit énergétique qui se manifeste par des délestages à répétition est une réalité quotidiennement vécue par les Gabonais. Les solutions alternatives et provisoires telles qu’Aggreko et KarPowerShip sont devenues tellement onéreuses pour l’État qu’il est désormais contraint de solliciter les efforts du contribuable, dans un contexte de lutte contre la vie chère.
Adaptation climatique : Le Gabon possède l’un des taux d’urbanisation les plus élevés du continent, avec plus de quatre Gabonais sur cinq vivant en ville. Plus de 60% de cette population résident dans les villes côtières. Les pollutions telluriques, les inondations liées aux pluies diluviennes font régulièrement des dégâts dans certains quartiers, faute d’aménagements idoines. Les bassins versants obstrués par les déchets non collectés ou directement expédiés par les populations ne permettent pas un écoulement régulier des eaux pluviales. Certaines infrastructures routières sont peu résilientes aux effets des changements climatiques. Leur réparation impose des dépenses imprévues hors budget à l’État. Il est tout aussi nécessaire de restaurer les mangroves pour protéger les côtes face à la montée du niveau de la mer et l’érosion côtière. Dans une ambition d’autosuffisance alimentaire, il importe d’introduire des techniques agricoles intelligentes face aux menaces climatiques.
Coopération régionale : Le Gabon a fortement contribué à la reconnaissance de la Commission des Forêts d’Afrique Centrale (COMIFAC) comme observateur à la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques. Le pays devrait maintenir la solidarité avec les autres pays du Bassin du Congo, à travers les institutions sous-régionales, notamment, pour peser davantage dans les négociations.
Les défis à surmonter
Pour sa crédibilité, le Gabon devrait relever plusieurs défis, parmi lesquels:
Assurer la transparence dans l’utilisation des financements climatiques afin de renforcer, non seulement la confiance des bailleurs, mais surtout celle des Gabonais qui sont les premiers de cordée dans la mise en œuvre de ces politiques publiques. Dans un contexte d’opacité de gestion des finances publiques, comme nous le démontre le procès dit des « Bongo-Valentin » en cours, la crédibilité demeure un impératif.
Diversifier l’économie pour réduire la dépendance au pétrole et créer des emplois verts. Il faut également militer pour l’épanouissement du secteur de l’économie bleue encore faiblement exploré ; pourtant le tourisme offre pas mal d’opportunités. La mutualisation des efforts des différents acteurs devrait aboutir à l’élaboration d’une stratégie nationale de l’économie bleue, au-delà de la seule pêche à laquelle semble condamner ce secteur. À cet effet, les cadres institutionnels, législatifs et réglementaires doivent être sans ambiguïtés. C’est l’occasion de procéder au bilan de certains outils dont l’action mériterait une plus grande attention. L’Agence Gabonaise d’Études et d’Observation Spatiale (AGEOS), le Conseil National Climat (CNC) ainsi que la Direction Générale de l’Environnement et de la Protection de la Nature (DGEPN) ont constitué les trois côtés du triangle de la négociation climat. Qu’en est-il aujourd’hui ? Les nouvelles institutions devraient être complémentaires de celles qui existent déjà.
Impliquer les communautés locales dans la gestion des ressources naturelles, afin de garantir la durabilité des projets. Le protocole de Nagoya demeure l’instrument essentiel d’élaboration des politiques publiques en la matière. La communauté locale, au sens institutionnel, ne devrait pas se limiter aux peuples dits autochtones, comme les indexent les instances internationales. Notre pays étant une unité territoriale administrativement morcelée, la décentralisation devient une nécessité impérieuse dans la lutte contre les changements climatiques. Dès lors, il faudrait réfléchir sur l’élaboration des plans locaux d’adaptation à travers la prévention des aléas et la lutte contre les catastrophes. La difficulté de l’État à répondre à la détresse des sinistrés lors des inondations, de gérer des pollutions comme celle de Mayumba sont des sujets qui alimentent les attentes des Gabonais.
Reconnue jadis comme la voix la plus audible de l’Afrique, le Gabon avait marqué les esprits lors de la COP 21 de Paris. La valeur de ses propositions, la gestion remarquée de la présidence de la Commission des finances par feu Franck Emmanuel Issozet Ngondet – alors Ministre des Affaires Étrangères et porte-étendard de la délégation gabonaise -, la qualité de ses négociateurs avaient unanimement été saluées par la Présidence de la COP. À travers le climat, la diplomatie gabonaise avait acquis sa noblesse.
À Belém, la délégation gabonaise devrait mettre en avant ses atouts naturels comme leviers économiques et diplomatiques, tout en montrant sa volonté de bâtir une économie verte et résiliente.









