Le Gabon traverse une période de profonde inquiétude. Alors que le pays est dirigé par des autorités militaires ayant justifié le coup d’État d’août 2023 par la nécessité de placer la « restauration de l’ordre » au cœur de leur contrat avec la Nation, une série de faits divers tragiques vient ébranler ce sentiment de sécurité. Pour Alain-Claude Bilie-By-Nze, arrivé deuxième à l’élection présidentielle d’avril 2025, l’heure n’est plus aux polémiques partisanes, mais à une « exigence de lucidité » face à la vulnérabilité croissante des citoyens.
Fort d’un parcours gouvernemental l’ayant vu occuper de multiples portefeuilles stratégiques avant d’accéder à la Primature, il tire de cet exercice du pouvoir une leçon de vigilance : « Le soutien aveugle est ce qu’il y a de plus dangereux dans la gestion de l’État, tant il empêche toute lucidité et finit toujours par desservir ceux qu’il prétend protéger », avertit-il.
Une litanie de drames qui sème la psychose
De Libreville à Franceville, les témoignages de disparitions se multiplient, alimentant une psychose que le silence ou l’imprécision des autorités peinent à dissiper. L’ancien Premier ministre dresse un constat alarmant en rappelant des affaires récentes : le rapt de la petite Richesse Bibana Ango à Beau-Séjour, la tentative de kidnapping d’un nourrisson à Franceville en novembre dernier, ou encore la découverte du corps sans vie d’un adolescent de 13 ans à Nzeng-Ayong en ce mois de décembre 2025.
Face à cette montée du crime, il pose une question brutale au pouvoir en place : « Comment un pays dirigé par des militaires, arrivés au pouvoir au nom de la rupture et du rétablissement de l’autorité, peut-il donner le sentiment d’être autant en proie au crime ? ». Pour l’ancien ministre, la sécurité ne doit pas être un privilège réservé aux cortèges officiels, mais une réalité palpable dans chaque quartier.
État de droit : Le glissement sémantique du président de la République
Alain-Claude Bilie-By-Nze s’inquiète également d’une dérive lexicale au sommet de l’État. En évoquant des « présumés coupables » plutôt que des suspects, le président de la République, Brice Clotaire Oligui Nguema, en réaction dans un post sur ses réseaux sociaux au sujet du décès brutal du jeune Ngueba Loko Pascal Cameron, sortirait du cadre juridique rigoureux. « Cette approximation lexicale n’est pas anodine : elle engage l’autorité de l’État, pèse sur l’opinion publique et crée une pression implicite sur l’autorité judiciaire », prévient-il.
Pour l’ancien Premier ministre, la précipitation dans la désignation des coupables expose la société au danger de la justice populaire. Attendre la vérité judiciaire est une exigence de responsabilité : « La justice ne protège pas seulement la société contre le crime, elle protège aussi les citoyens contre l’arbitraire, l’erreur et la vengeance ».
La rupture par l’acte : sortir de l’impasse
Pour sortir de ce qu’il qualifie d’échec du renseignement de proximité et de la chaîne pénale, Alain-Claude Bilie-By-Nze propose une refonte profonde de l’action publique. Il plaide pour la mise en place d’un dispositif national « Alerte Disparition », la création d’un parquet spécialisé contre les crimes rituels et une politique de transparence totale sur les résultats judiciaires.
Il insiste également sur la nécessité de briser le silence institutionnel qui « fabrique la rumeur » et de faire preuve d’une tolérance zéro envers les complicités internes aux forces de l’ordre. « Quand la sécurité elle-même est soupçonnée, la confiance s’effondre », rappelle-t-il, évoquant les affaires où des agents ont été mis en cause dans des dossiers d’enlèvements.
« L’avenir pris en otage » ?
En conclusion de sa réflexion, celui qui fait désormais figure de fer de lance de l’opposition rappelle une vérité fondamentale : la légitimité d’un pouvoir repose sur sa capacité à protéger les plus fragiles. « Un pays où les enfants disparaissent est un pays où l’avenir est pris en otage ». Désormais, les regards se tournent vers le gouvernement pour des actes concrets, car au Gabon, l’attente de sécurité est devenue une urgence vitale.










