Malgré les tentatives du procureur Eddy Minang de justifier cette libération provisoire par des raisons médicales et de promettre un procès futur, le sentiment général est clair : la famille Bongo a bel et bien “filé à l’angolaise”. Pour des accusations aussi graves que la haute trahison et les détournements massifs de fonds, une telle issue est perçue comme une parodie de justice, d’autant plus que les Gabonais attendaient un procès exemplaire.
Un revirement qui ébranle la confiance
Avant son accession au pouvoir cette fois-ci par les urnes le 12 avril dernier, Oligui Nguema, avait affiché une détermination sans faille à traduire en justice l’ancienne famille présidentielle, n’hésitant pas à défier les pressions internationales. Ce bras de fer avait même envenimé les relations diplomatiques avec l’Angola, dont le président João Lourenço exigeait ouvertement la libération des Bongo.
Que la famille Bongo ait quitté le Gabon à bord d’un avion présidentiel angolais, et que les autorités angolaises aient brûlé la politesse à Libreville en annonçant elles-mêmes la nouvelle de leur présence à Luanda, est vécu comme une humiliation profonde par les Gabonais. C’est plus qu’un revers diplomatique ; c’est une gifle à la souveraineté et à l’attente de justice.
Le poids du silence présidentiel
Face à ce scénario inattendu et déroutant, le silence obstiné d’Oligui Nguema est d’autant plus lourd de sens. Comment expliquer ce changement de cap radical, alors que la population s’attendait à une rupture nette avec l’impunité ? Pour beaucoup, cette libération sous pression internationale, loin d’être un signe de magnanimité, sonne comme une capitulation. Elle alimente les soupçons de tractations secrètes et jette une ombre sur la volonté réelle du nouveau pouvoir de mener à bien sa mission de “restauration des institutions”.
La mise en garde de Me Jean-Paul Moubembe, en février dernier, prend aujourd’hui une résonance prophétique : “s’il y a un procès, si la femme d’Ali passe à la barre, si le fils d’Ali passe à la barre, tout le monde va dégringoler”. Cette déclaration suggère un système de corruption si profond que le procès des Bongo aurait pu entraîner la chute de nombreux acteurs politiques, potentiellement y compris au sein de la nouvelle administration. Le silence d’Oligui Nguema pourrait alors être interprété comme une tentative de préserver une certaine stabilité, quitte à sacrifier les aspirations de justice du peuple.
Alain-Claude Bilie-By-Nze, ancien Premier ministre du régime déchu, n’a pas mâché ses mots, affirmant qu’Oligui Nguema et son gouvernement “n’assument pas ce qui s’est passé” tout en dénonçant une opération marquée par une “opacité totale”.
Le sentiment d’une justice à deux vitesses, voire d’une justice sacrifiée sur l’autel de la realpolitik, gagne du terrain. Le Gabon, en pleine transition, se trouve à un carrefour où le respect de l’État de droit semble s’effacer face à des impératifs inavoués.
Que révèle ce silence sur la véritable feuille de route de la transition gabonaise ? Le peuple obtiendra-t-il un jour les réponses et la justice qu’il réclame ?