Des figures de proue rurales ignorées, un pari risqué
L’exemple de Jonathan Ignoumba, homme fort de la Nyanga, est symptomatique de cette déconnexion grandissante. Engagé avec ferveur pour soutenir la transition, il a mobilisé efficacement la province, obtenant un soutien massif de plus de 90 % pour le projet constitutionnel, puis 95 % de voix favorables à la présidentielle. Une performance saluée jusqu’au sein des cercles diplomatiques. Pourtant, une fois l’élection passée, cet allié de poids a été écarté sans explication, semant la consternation dans sa province.
Le même constat s’impose pour Philippe Nzengue Mayila dans le département de la Louetsi-Bibaka à Malinga (Ngounié). Malgré son ancrage politique, sa connaissance fine du terrain et son capital sympathie, ce natif de Mbomo, Vice-Président du parti de Guy Nzouba Ndama, qui a mis des moyens personnels pour la campagne du “Oui” au référendum et l’élection présidentielle, ne semble plus figurer dans les plans de la gouvernance Oligui Nguema. Ces décisions, loin d’être isolées, sont perçues comme un retour à une logique opaque d’alliances de couloir, où les efforts de terrain et la légitimité populaire sont sacrifiés sur l’autel d’arrangements politiques.
Une stratégie de centralisation qui inquiète
Les nominations successives d’individus sans enracinement politique réel, souvent de jeunes profils visibles mais déconnectés des réalités locales, laissent planer un doute sérieux. Le président semble privilégier une stratégie déjà connue : centralisation du pouvoir, méfiance vis-à-vis des figures régionales fortes, et une gouvernance verticale. Ce modèle, qui a jadis alimenté les crises de confiance dans les institutions gabonaises, risque de réactiver des mécanismes de marginalisation dont les provinces, notamment la Nyanga, la Ngounié et l’Ogooué-Ivindo, pourraient faire les frais.
La Nyanga, province traditionnellement acquise à l’opposition, n’a basculé en faveur d’Oligui que grâce au leadership de terrain d’Ignoumba, qui a su parler aux jeunes, aux anciens, aux femmes et aux notables. Aujourd’hui, en l’absence de reconnaissance de son engagement, la colère monte. Plusieurs responsables communautaires ont déjà annoncé leur retrait des futures campagnes électorales, laissant entrevoir une fracture politique profonde qui pourrait se propager aux autres provinces affectées par ces mises à l’écart.
Alors qu’il se présentait comme le restaurateur de la République, le général Oligui Nguema peine à définir une ligne stratégique cohérente. Le fossé se creuse entre les nominations centrales, les priorités économiques et les réalités sociales du terrain. Un climat de défiance s’installe, même dans les rangs proches du pouvoir, où certains dénoncent une gestion “solitaire et technocratique”, coupée des dynamiques populaires essentielles pour gagner les cœurs et les voix en milieu rural.
Vers une débâcle électorale en zone rurale ?
Les élections législatives et locales à venir pourraient bien mettre en lumière les conséquences de ces choix. Sans des figures fédératrices comme Jonathan Ignoumba ou Raymond Ndong Sima, la machine électorale du pouvoir risque de vaciller sérieusement dans les zones rurales. Là, l’image ne suffit pas à garantir un vote ; ce sont les relations humaines et l’engagement dans la durée qui pèsent plus que les effets d’annonce.
Depuis l’installation du nouveau régime, plusieurs piliers de la transition se disent marginalisés au profit de visages médiatiques sans légitimité territoriale. Cette tendance trahit une culture politique dangereuse : celle qui privilégie l’apparence sur la constance, la vitrine sur l’action. Une dynamique qui va à rebours des promesses de rupture faites au peuple gabonais.
Les provinces comme la Nyanga, la Ngounié ou l’Ogooué-Ivindo ne sont pas de simples poches isolées. Elles incarnent les tensions futures d’un pays qui aspire à une gouvernance enracinée dans le réel. En ignorant les relais politiques naturels, le général Oligui Nguema risque de perdre le lien de confiance établi durant la transition, un pari particulièrement risqué dans un contexte régional où la stabilité est précaire. Le prix de cet oubli pourrait être une légitimité perdue, essentielle pour la stabilité future du Gabon.