Pourquoi cette opération de force a-t-elle eu lieu alors qu’une décision de justice exigeait une procédure bien différente, incluant l’intervention de la Caisse de Dépôt et Consignation (CDC), propriétaire du terrain, et une expertise cadastrale contradictoire ?
Cette expulsion massive semble ignorer purement et simplement un jugement rendu quelques mois plus tôt par le Tribunal civil de première instance de Libreville. Ce jugement, pourtant limpide, suspendait toute décision définitive d’expulsion et de démolition tant que ces étapes cruciales n’étaient pas respectées.
Une décision de justice ignorée
Le 9 janvier 2025, une audience déterminante s’est tenue au Tribunal civil de première instance de Libreville. L’État Gabonais, représenté par le Ministère de l’Habitat, cherchait à obtenir l’autorisation d’expulser les populations de Plaine-Orety et Derrière l’Assemblée nationale. L’avocat de l’État a justifié cette démarche en évoquant le projet de l’État de construire une cité administrative. Il a argué que la procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique s’appliquait à ces 1053 ménages et 1154 constructions, dépourvues de titres de propriété.
Cependant, la parcelle concernée, d’une superficie de 200247 m², appartient à la Caisse de Dépôt et Consignation (CDC). La CDC avait acquis ce terrain auprès de l’État en 2014 pour 4,6 milliards de FCFA, sous l’égide de Magloire Ngambia, alors ministre de l’Habitat. L’État s’était alors engagé à aménager le site. Cette révélation a amené la défense à soulever un problème de recevabilité de la requête de l’État, arguant que seule la CDC, en tant que propriétaire du titre foncier, était légitime à demander une expulsion.
Les droits des habitants piétinés ?
L’avocat d’Allogho Mba Cyriaque, un habitant concerné, Maître Mfoumbi, a également mis en avant l’existence d’un site non titré derrière l’hypermarché MBOLO, occupé par Allogho Mba Cyriaque pour des activités maraîchères sur une très vaste superficie. Il a dénoncé une violation de la Convention de Kampala, qui interdit les expulsions massives. Il a aussi demandé que la parcelle de son client soit exclue de l’expropriation, le titre foncier invoqué par l’État ne la concernant pas. Maître Mfoumbi a par ailleurs remis en question l’évaluation des biens par l’ANUTTC, soulignant que son client possédait quatre constructions recensées comme seulement deux par l’ANUTTC. Une expertise privée estimait la valeur des constructions à 424 millions de FCFA, poussant M. Allogho Mba Cyriaque à réclamer un milliard de FCFA en dommages et intérêts.
Un État au-dessus des lois ?
Face à l’imprécision de la requête de l’État et aux arguments de la défense, le tribunal a décidé qu’il ne pouvait statuer sans davantage d’éléments. Pour une bonne administration de la justice, il a ordonné une expertise cadastrale afin de distinguer clairement les populations sur la zone titrée de la CDC et celles sur le domaine privé de l’État. Le tribunal a également enjoint l’État à produire le titre foncier détenu par la CDC. Plus important encore, il a ordonné l’intervention forcée de la CDC dans la procédure et une expertise cadastrale contradictoire par l’ANUTTC, avec pour mission de définir précisément l’occupation des lieux et un délai de deux mois pour rendre son rapport.
Malgré ces directives contraignantes du tribunal, les bulldozers ont commencé leur œuvre dès le 2 juin. Cette situation soulève des interrogations fondamentales sur le respect de l’État de droit. Comment le ministre de l’Habitat a-t-il pu passer outre une décision judiciaire aussi explicite ? Quelles sont les raisons d’un tel empressement, alors qu’une procédure légale visait précisément à garantir la transparence et la justice pour tous, y compris la protection du droit de propriété de la CDC ?