Par Guillou Bitsutsu-Gielessen
Le Gabon, pays d’Afrique centrale, avec 88 % de son territoire couvert par des forêts luxuriantes, détient un trésor inestimable : un puits de carbone naturel qui absorbe environ 140 millions de tonnes de CO₂ par an. Cette richesse place le Gabon en position de leader dans la génération de crédits carbone, un atout majeur dans la lutte mondiale contre la pollution et les changements climatiques. Pourtant, le pays est aussi un acteur majeur de l’industrie du bois, étant le premier exportateur africain de contreplaqués tropicaux.
Concilier ces deux impératifs – préserver la forêt pour la protection du climat et l’exploiter pour le développement économique – est un défi complexe, mais le Gabon s’engage résolument sur la voie d’une gestion durable, comme en témoignent des choix politiques audacieux.
Une exploitation durable, pilier de la stratégie nationale
L’économie du bois est un pilier stratégique pour la diversification économique du Gabon, offrant une alternative cruciale au pétrole. Avec 23 millions d’hectares de forêts et 400 millions de m³ de stocks de bois, dont 130 millions d’okoumé, le potentiel est immense. Le Gabon a fait le choix d’un modèle d’exploitation sélective, coupant moins d’un arbre par hectare tous les 25 ans. Cette approche vise à minimiser l’impact écologique et à permettre à la forêt de continuer à séquestrer du CO₂, générant ainsi des crédits carbone.
Des efforts sont faits pour la certification des exploitations, même si le chemin est encore long. Actuellement, seules 4 entreprises sur 60 sont certifiées Forest Stewardship Council (FSC), loin de l’objectif initial de 100 % des concessions.
Malgré ces défis, le secteur forestier contribue à 5 % du PIB et représente 7 % des exportations hors pétrole, générant 18 000 emplois directs et indirects, ce qui en fait le deuxième employeur privé du pays.
Souveraineté et transformation locale : Les maîtres mots
La politique gouvernementale en matière forestière est marquée par une volonté affirmée de réappropriation et de valorisation locale. La nationalisation en 2025 de la Société Nationale des Bois du Gabon (SNBG), précédemment vendue à bas prix, illustre cette démarche de restauration de la souveraineté sur une ressource stratégique. De plus, depuis 2010, le Gabon a interdit l’exportation de grumes brutes, imposant une première transformation sur place, notamment via des zones économiques comme Nkok. Cette mesure vise non seulement à créer plus de valeur ajoutée localement, mais aussi à réduire l’empreinte carbone en diminuant les transports maritimes de grumes.
Les crédits carbone : Une nouvelle ère et source de diversification de l’économie gabonaise
Le Gabon est un acteur majeur dans le domaine des crédits carbone. En 2022, le pays a émis 187 millions de crédits carbone certifiés par la CCNUCC, grâce à son faible taux de déforestation (moins de 0,1 % par an). Des partenariats internationaux, comme la Norvège et des entreprises telles que Shell, témoignent de la reconnaissance de cette politique environnementale forte.
À un prix d’environ 30 dollars par tonne de CO₂ absorbés, le Gabon espère générer des centaines de millions de dollars par an, fonds qui seront réinvestis dans des projets durables.
Le pays prouve qu’exploiter la forêt sans la détruire est possible en combinant certifications strictes (FSC, REDD+), transformation locale, technologie de surveillance (systèmes de traçabilité numérique, satellites, drones) et un zonage intelligent qui alloue 60 % des forêts à l’exploitation durable et 40 % à la conservation pure.
Défis et perspectives
Malgré ces avancées, des défis majeurs subsistent. Les infrastructures défaillantes, avec des routes impraticables en saison des pluies, compliquent le transport du bois. La corruption, mise en lumière par le “kévazingogate” en 2019, souligne la nécessité de renforcer la gouvernance et la traçabilité. La dépendance aux marchés asiatiques, qui absorbent 70 à 80 % des exportations, rend le secteur vulnérable aux fluctuations de la demande mondiale.
Par ailleurs, la coexistence des crédits carbone et de l’exploitation forestière pose la question des conflits d’intérêts, les premiers rapportant moins à court terme que l’exploitation intensive. Le risque de “greenwashing” et la dépendance aux prix du carbone sur le marché mondial sont également des préoccupations.
Cependant, le Gabon se tourne vers l’avenir avec des perspectives prometteuses. La diversification des marchés vers l’UE et les États-Unis pour les bois certifiés, l’introduction de systèmes de traçabilité électronique et la nomination d’un militaire à la tête du ministère des Forêts pour lutter contre la fraude sont des signes encourageants.
Le succès de ce modèle gabonais dépendra de l’amélioration continue des infrastructures logistiques, de la lutte implacable contre la corruption et de l’adaptation aux normes internationales pour conquérir des marchés toujours plus exigeants. Le Gabon a l’ambition de devenir un hub africain de la finance carbone, et de prouver qu’une croissance économique durable peut être bâtie sur la préservation de ses ressources naturelles.
Le franc CFA : Un frein au développement économique ?
Il est impératif de souligner un autre enjeu majeur qui entrave le plein potentiel de notre économie, y compris celui du secteur forestier : le franc CFA. Cette monnaie anachronique demeure un symbole persistant du néo-colonialisme. La ponction de 50 % de nos devises issues de l’exportation de nos matières premières par la France, sous prétexte de soutenir le franc CFA, limite drastiquement nos capacités d’emprunt et de développement. C’est un véritable frein à une croissance économique émergente et à notre souveraineté financière. Pour que le Gabon puisse pleinement capitaliser sur ses richesses, notamment forestières, une réévaluation de cette dépendance monétaire est indispensable.