« Jamais, de mémoire de Gabonais, depuis l’avènement de la démocratie et du multipartisme en 1990, la voilure de l’État de droit n’a été aussi réduite que sous cette Cinquième République naissante. L’affirmation pourrait paraître présomptueuse pour certains, et pourtant c’est bien en ces termes qu’il convient de la formuler aujourd’hui, tant celui-ci (l’État de droit) se trouve quotidiennement piétiné, altéré, abîmé par les nouvelles Institutions chargées de l’administrer. Trois chemins se présentent à toute personne qui veut tenter d’y voir clair à ma réflexion.
Suivre le premier reviendrait d’abord à faire un inventaire, même non exhaustif, des brutalités policières les plus saisissantes enregistrées ces deux dernières années. Aux aurores de la Transition, plusieurs syndicalistes de la Société d’Énergie et d’Eau du Gabon (SEEG), des pères de famille, des femmes ayant porté et donné la vie, avaient été arrêtés, rasés, humiliés en ayant été filmés et présentés sur les réseaux sociaux comme de vulgaires parias, alors que ces derniers ne revendiquaient que leur dû. Toujours avec la même volonté de soumettre et d’humilier, des centaines de compatriotes, au motif peu convaincant d’avoir transgressé l’heure du couvre-feu, avaient été interpellés, entassés en un seul lieu puis rasés avec les mêmes instruments, les exposant sans ménagement aux risques d’une contamination aux maladies telles que le VIH, les Hépatites Virales et bien d’autres.
S’engager sur le deuxième, c’est comprendre la logique de reproduction de tous les régimes autoritaires: surveiller les citoyens, organiser leurs petits plaisirs, apeurer les curieux et châtier les insoumis. Oui, la Cinquième République Gabonaise nous avait promis un scénario différent de celui de la Quatrième. Hélas ! La même comédie se répète, cycle après cycle, avec la régularité d’un mauvais feuilleton. On change de décor, on repeint les murs, on annonce une nouvelle saison, mais le scénario, lui, reste désespérément le même: les voix libres sont toujours bâillonnées, intimidées, arrêtées, et, comme Harold Leckat, arbitrairement et injustement jetées en prison.
Reste alors le troisième et dernier chemin, le plus dangereux d’ailleurs: il s’agit de la perversion inquiétante de l’institution judiciaire Gabonaise. Sans avoir la prétention de faire son procès, loin s’en faut, la justice gabonaise inquiète cependant ces derniers temps, plus qu’elle ne rassure. Jamais elle n’a semblé aussi instrumentalisée que ces 24 derniers mois. Entre auto-saisines choisies, poursuites ciblées, arrestations arbitraires et oublis volontaires de certains dossiers impliquant des proches du pouvoir, l’institution judiciaire s’est considérablement pervertie. Cette faillite institutionnelle a atteint des niveaux insoupçonnés, lorsque dans une affaire supposée de mœurs impliquant un ancien Ministre, Hervé Patrick Opiangah pour ne pas le citer, deux Procureurs en sont venus à se parjurer, le tout, sans subir ni avertissements, ni blâmes encore moins des sanctions du Conseil Supérieur de la Magistrature.
Les trois voies parcourues, il n’est plus difficile de comprendre la situation du journaliste Harold Leckat Igassela, Fondateur et Directeur de Publication du média en ligne Gabon Media Time (GMT). Les raisons de son arrestation et de son emprisonnement demeurent pour le moins floues et juridiquement intenables. Le Procureur de la République parle d’escroquerie et de non-respect des procédures d’attribution des Marchés publics, toute chose qui invite à un questionnement rigoureux: depuis quand il appartient au fournisseur ou prestataire de service – dans le cas d’espèce un média privé – de définir les modalités de passation des marchés publics? Un tiers – c’est-à-dire une personne non dépositaire d’autorité publique – peut-il être poursuivi pour des faits de violation du Code des Marchés Publics? La responsabilité du respect des règles de passation des Marchés publics incombe-t-elle au Contractant, ici l’État ou au Cocontractant, en l’espèce, le prestataire ? Appartient-il au prestataire, ici GMT, de vérifier la provenance des fonds qui lui sont versés après le service réalisé ?
De ce que l’orthodoxie entre deux parties contractuelles révèle, le prestataire n’est responsable que de l’exécution de ses obligations contractuelles et du respect du cahier des charges mutuellement fixées. En l’occurrence, Harold Leckat a rempli ses obligations contractuelles, suivant les explications de son Avocat Anges Kevin Nzigou. « Ce contrat a donné lieu à des prestations exécutées, facturées, réglées. Où sont les faux documents », s’est-il interrogé.
Au regard de tout ce qui précède, il apparaît clairement que l’affaire Harold Leckat Igassela masque mal les atours d’un règlement de comptes qui ne poursuit qu’un dessein limpide: réduire au silence un professionnel des médias réputé pour sa tonalité libre, indépendante et parfois critique. Sous le voile d’une procédure judiciaire bancale, l’emprisonnement du Patron de Gabon Media Time (GMT) révèle deux choses claires: l’incapacité presque pathologique du nouveau régime à tolérer des voix dissonantes et une volonté assumée de tenir en bride les consciences libres. »
Fabien Bibang
-Rédacteur en Chef du média en ligne Dépêches 241
– Prix Encouragements Catégorie Presse Écrite au Concours Médias UNICEF 2022










