Le Confidentiel: Il y a trois ans, vous aviez critiqué la pertinence du déplacement du président français Emmanuel Macron au Gabon, à quelques mois seulement de la présidentielle d’août 2023, ainsi que le sentiment anti-français que cela pourrait engendrer auprès des populations. Cette visite était perçue comme un soutien politique à Ali Bongo. Trois ans plus tard, le président français est de nouveau en visite d’État au Gabon, mais Ali Bongo n’est plus au pouvoir. Pensez-vous que ce sentiment anti-français que vous souligniez a changé ?
Jean Gaspard Ntoutoume Ayi : Effectivement, en mars 2023, je me suis interrogé sur l’opportunité et la pertinence d’une visite officielle du président de la République française au Gabon à 5 mois d’une élection présidentielle que tout observateur averti considérait comme à très haut risque. Au regard de ce qui s’est produit par la suite, il me semble que les réserves qui étaient les miennes n’étaient pas sans fondement.
La dernière visite d’Emmanuel Macron intervient quant à elle dans un contexte totalement différent. Notre pays est parvenu à conduire une transition politique exemplaire à bien des égards, notamment en permettant un retour à l’ordre constitutionnel et la mise en place de l’ensemble des institutions du pays en moins de 30 mois. Au cours de cette transition, la France a apporté son soutien à notre pays, notamment dans les instances internationales où elle occupe une position dont nul ne peut ignorer l’importance. Au lendemain du 30 août 2023, lorsque notre pays a eu besoin du soutien de ses amis dans les instances internationales, il a pu compter sur la France et sur le Président Macron.
Comment aimeriez-vous voir les relations entre la France et le Gabon ?
Nos deux pays doivent entretenir des relations décomplexées et équitables. Décomplexées en ce sens que le Gabon n’a aucune raison d’avoir un complexe d’infériorité à l’endroit de la France, sans pour autant ignorer la place de ce partenaire au sein de la communauté internationale. De même, la France n’a aucun intérêt à méconnaitre la souveraineté du Gabon. L’équité est également un élément central de la relation entre la France et le Gabon. Il importe que sur chaque sujet les uns aient le souci de leurs intérêts, mais aussi des attentes de l’autre partenaire.
Le sujet de la transformation du manganèse qui a été au centre des discussions lors de cette visite officielle peut permettre d’illustrer mon propos. Il est dans l’intérêt d’Eramet de tout mettre en œuvre pour que cette volonté de transformer ce minerai au Gabon se réalise. C’est l’intérêt de la France que cela se fasse et que le Gabon soit convaincu que sur ce sujet, son partenaire se tient à ses côtés.
Le Gabon est la seule ancienne colonie française qui garde des militaires français sur son sol. Au moment où le président français séjourne au Gabon, partagez-vous l’avis de ceux qui exigent leur départ, ou, au contraire, trouvez-vous cette présence nécessaire ?
Personnellement, je n’ai jamais été dérangé par la présence militaire française au Gabon. Aujourd’hui cette présence militaire française au Gabon ne ressemble plus en rien à ce qu’elle était il y a trois (3) ans. Il n’y a plus de troupes françaises prépositionnées au Gabon avec pour mission de participer aux opérations militaires extérieures de la France.
Les autorités françaises et gabonaises se sont accordées pour créer sur notre territoire un cadre de coopération militaire internationale tourné principalement sur la formation. Et cela me convient parfaitement.
Ancien directeur général de la dette, pensez-vous que le Gabon gagnerait à quitter le FCFA ou, au contraire, qu’il est juste nécessaire de faire des réformes sur cette monnaie ?
Je suis de ceux qui pensent que la question du Franc CFA ne relève pas de l’urgence. Le développement de notre pays est d’abord et avant tout une question de gouvernance politique, de renforcement de l’État de droit, de pertinence de la gestion budgétaire et d’éradication de la corruption. Traitons prioritairement ces questions essentielles et nous saurons si la question monétaire doit être posée.
Actualité oblige : quelle est votre lecture du procès de Sylvia Bongo Ondimba, son fils et consorts : avez-vous le sentiment que la justice a été rendue, surtout que les principaux concernés sont en exil, et que plusieurs personnalités citées à la barre n’ont pas été entendues ?
Au-delà des sanctions individuellement prononcées à l’endroit de toutes ces personnes, ce procès est venu confirmer l’imposture au sommet de l’État que mes amis et moi avons dénoncé dès le mois de février 2019 au sein du collectif citoyen “Appel à Agir”. Les personnes qui ont été présentées au tribunal sont ce que l’on peut appeler des bénéficiaires de cette imposture. Et il ne me revient pas de porter un jugement sur les peines prononcées ou non par la Cour criminelle spéciale.
Par contre, en tant que citoyen et responsable politique, je ne peux ignorer ce qui a été dit, donc confirmé au cours de ce procès. Notre pays ne peut se satisfaire de ce seul procès pour traiter de cette période et de ce qui a conduit au 30 août 2023. Le pays se doit d’écrire froidement cette histoire et d’en retenir les leçons.
Pour ma part, je saisirai le Bureau de l’Assemblée Nationale pour demander la mise en place d’une Commission d’enquête Parlementaire qui aura pour mission de faire toute la lumière sur le rôle des institutions de la République au lendemain de l’AVC d’Ali Bongo.
Sur cette période, le pays ne pourra faire l’économie de se regarder en face et d’en tirer les leçons.










