Le 10 juin dernier, Tidjane Thiam a tenu des propos devenus viraux dans une vidéo, abordant la question de la faillite des dirigeants africains. En Afrique, la responsabilité de l’ancien colonisateur, de l’Occident, des États-Unis, et peut-être demain de la Chine ou de la Turquie, est souvent brandie pour justifier le sous-développement du continent africain.
Alors Tidjane Thiam dit exactement ceci, dans des propos, dans une forme spartiate, mais dans le fond, lourd de sens. Deux points, ouvrons les guillemets :
« Souvent, les gens en Afrique – ça ne va pas plaire, mais ils n’ont qu’à écouter… C’est mon expérience. Il y a trop d’idées en Afrique qui pensent qu’on est victime d’un complot spécifique. Que le monde s’est ligué pour garder l’Afrique dans le sous-développement. C’est faux. »
« Je peux vous dire, ils sont aussi vicieux avec l’Inde ou la Birmanie ou le Laos qu’avec le Togo ou le Tchad. (…) Il n’y a pas de complot particulier. L’araignée ne traverse pas le mur qui n’est pas fondu. Un pays ne peut pas se plaindre du fait que d’autres profitent de sa paresse, de sa faiblesse, de sa division. Il faut arrêter. »
« Vous savez, quand les gens vous respectent, ils font de bonnes affaires avec vous. Celui qui ne vous respecte pas, il ne vient que vous proposer des deals de mauvaise qualité. Il sait que vous allez accepter. Et il va réserver ses bons deals pour le Vietnam ou pour d’autres pays. »
« Donc, il faut être exigeant, il faut être ambitieux. C’est une question de dignité, on ne fait pas de compromis sur la dignité. Parce qu’une fois que quelqu’un ne vous respecte pas, vous êtes cuits. Face à l’international, à l’étranger, c’est à nous de définir quel est notre intérêt, et ensuite de se donner les moyens pour défendre notre intérêt. Et si on ne le fait pas, nous sommes les seuls à blâmer. »
Je vais chuter sur le Gabon.
Pour revenir au Gabon, il est clair que l’investisseur étranger n’est pas responsable de notre incapacité, après 65 ans d’indépendances, à transformer localement notre pétrole, notre bois ou notre manganèse. À titre de rappel, le Gabon est le deuxième producteur mondial de manganèse, derrière l’Afrique du Sud, qui elle, transforme sa production.
Le 4 juin dernier, le gouvernement a annoncé sa décision de suspendre l’Accord de Partenariat de Pêche Durable (APPD) avec l’Union européenne. Cet accord, en vigueur depuis 2021, autorisait les flottes européennes, principalement françaises et espagnoles, à pêcher dans les eaux gabonaises. Il était clair que cet arrangement était largement défavorable à la partie gabonaise.
Chaque année, environ 200 000 tonnes de thon tropical étaient capturées dans les eaux gabonaises, ce qui représente 25 % de la consommation mondiale de thon. Une tonne de thon vendue et transformée en Europe génère entre 983 935,50 FCFA et 1 311 914 FCFA. Ainsi, les 200 000 tonnes pêchées annuellement généraient un chiffre d’affaires colossal de 262,38 milliards de FCFA par an pour les entreprises européennes, uniquement grâce au thon. En comparaison, l’Union européenne versait au Gabon une compensation annuelle de seulement 2,6 milliards de francs CFA.
Maintenant, certains diront que les Occidentaux apportent leurs bateaux, leur technologie, leurs débouchés, etc. Mais qu’est-ce qui empêchait le Gabon d’acquérir ses propres bateaux, son propre savoir-faire et de vendre directement son poisson sur le marché européen ? Rien, me direz-vous.
Par conséquent, nous ne devons pas chercher d’échappatoire ni accuser les Européens d’être les seuls responsables. Sans vouloir tirer sur une ambulance, ou plutôt sur un corbillard, mais ironie du sort, tenez-vous bien : sous le précédent régime, les deux parties, l’Union européenne et le Gabon, s’étaient réjouies toutes deux de la signature de cet accord. C’est à ce moment précis que les conseils de Tidjane Thiam, cités plus haut, prennent tout leur sens.
Je répète : « Vous savez, quand les gens vous respectent, ils font de bonnes affaires avec vous. Celui qui ne vous respecte pas, il ne vient que vous proposer des deals de mauvaise qualité. Il sait que vous allez accepter. Et il va réserver ses bons deals pour le Vietnam ou pour d’autres pays. »
Le nouveau régime, avec à sa tête Brice Clotaire Oligui Nguema, a-t-il pris désormais la pleine mesure de la nécessité de négocier d’égal à égal avec les investisseurs étrangers ? Les récentes décisions, comme la suspension de l’accord de pêche du thon et l’interdiction de l’exportation brute de manganèse à partir de 2029, donnent des raisons d’espérer.