Par Guilou Bitsutsu-Gielessen
L’affaire Perenco au Gabon est plus qu’un simple fait divers ; elle est le miroir des tensions inhérentes à l’industrie extractive moderne, prise entre la soif de profit, la dégradation environnementale et le non-respect des droits humains. Perenco, acteur pétrolier majeur au Gabon depuis les années 1990, illustre parfaitement ce dilemme, accumulant scandales environnementaux, sociaux et fiscaux malgré sa contribution significative aux revenus du pays.
Un acteur clé au cœur des controverses
Fondée en 1975 et basée à Londres et Paris, Perenco s’est positionnée comme l’expert des gisements “en fin de vie”, reprenant là où les géants comme Total et Shell se retirent. Au Gabon, elle est omniprésente, de Port-Gentil avec ses champs offshore (Grondin, Torpille, Anguille) à l’intérieur des terres avec des sites comme Obangué et Onal. Sa production de 30 000 barils/jour représente environ 15% de la production nationale gabonaise, faisant d’elle un employeur clé et un partenaire incontournable de l’État, notamment via des joint-ventures avec la Gabon Oil Company. Pourtant, cette importance économique masque une réalité bien plus sombre
Un bilan rnvironnemental et social accablant
Les accusations de pollution environnementale sont légion et bien documentées. Au Gabon, les fuites de pétrole sont monnaie courante autour de Port-Gentil et du delta de l’Ogooué, contaminant les sols et les eaux. Cela a des conséquences directes sur la vie des populations : la pêche et l’agriculture locales sont durement affectées, et les habitants rapportent une augmentation des maladies respiratoires et cutanées, liées à la consommation d’eau contaminée. La pratique du brûlage à la torche (gaz brûlé à l’air libre), malgré ses dangers sanitaires avérés, est un symptôme supplémentaire de ce laisser-faire.
Cette problématique ne se limite pas aux frontières gabonaises. En République Démocratique du Congo (RDC), des ONG dénoncent des dégâts écologiques alarmants près du Parc national des Virunga, site UNESCO où Perenco opère. Au Pérou, ses activités en Amazonie menacent la biodiversité et les communautés indigènes, tandis qu’au Guatemala, la compagnie a été liée à des expulsions forcées.
Les conflits sociaux sont inévitables face à une telle situation. Perenco est souvent accusée d’exploiter les travailleurs locaux, leur offrant des salaires bas et des conditions de travail dangereuses. Les communautés affectées par la pollution déplorent le manque criant de compensation. En 2019, des manifestations à Port-Gentil contre la compagnie ont été réprimées, et des ONG signalent des intimidations envers les militants écologistes, réduisant au silence ceux qui osent dénoncer.
Opacité fiscale et manque de transparence
Au-delà de l’impact environnemental et social, Perenco est épinglée pour son opacité fiscale. La structuration de la société, avec ses sièges dans des paradis fiscaux comme les Bahamas et la Suisse, soulève de sérieuses questions sur sa contribution réelle aux économies des pays où elle opère. Des accusations de paiements douteux à des régimes autoritaires, notamment au Gabon sous l’ère Bongo, ont alimenté les soupçons de corruption. Des affaires fiscales en France ont également mis en lumière des pratiques d’optimisation fiscale agressive.
Des plaintes aux réactions officielles : Un équilibre fragile
Face à cette avalanche d’accusations, Perenco a toujours nié les faits, mettant en avant ses investissements sociaux (écoles, cliniques) et sa volonté de réhabiliter les sites pollués – des affirmations souvent contestées. La compagnie se défend en soulignant son rôle dans le maintien de l’emploi local et prétend respecter des normes environnementales strictes, bien que les preuves tangibles manquent.
Cependant, la pression monte. Des ONG comme Sherpa et Friends of the Earth ont lancé des campagnes retentissantes, allant jusqu’à accuser Perenco de “crime environnemental” en 2023. Des pays comme la RDC ont renégocié ou suspendu des contrats sous la pression écologiste. Au Gabon, la justice a été saisie en 2021 pour examiner les plaintes contre la firme.
La position de l’État Gabonais est cruciale. Sous l’ancien régime d’Ali Bongo, Perenco bénéficiait d’une tolérance notable. Depuis la transition militaire de 2023, le nouveau pouvoir exige plus de transparence. Cependant, aucune sanction majeure n’a encore été prise, laissant planer l’incertitude sur la volonté réelle du gouvernement de tenir la compagnie pour responsable.
Perspectives : entre extension et révolte
Perenco continue d’afficher ses ambitions, avec de nouveaux forages en discussion pour 2024-2025. Mais cette expansion risque de se heurter à une pression accrue des ONG qui réclament un audit indépendant sur la pollution. Le risque de nouvelles mobilisations sociales est omniprésent si les problèmes persistent.
L’affaire Perenco est un test décisif pour le Gabon et les autres pays hôtes. S’il est indéniable que l’entreprise est un acteur économique de poids, son bilan environnemental et social est lourdement critiqué. La question n’est plus de savoir si Perenco a commis des erreurs, mais si les autorités politiques et judiciaires oseront imposer des règles plus strictes, ou si l’entreprise continuera d’opérer, dans une relative impunité, au détriment des populations et de l’environnement.