Derrière les déclarations officielles vantant un “deal propre”, se profile un montage financier où Gunvor est assuré de réaliser un profit colossal. D’après l’enquête, le trader pourrait empocher entre 200 et 250 millions de dollars de bénéfices garantis sur une période de cinq ans. Une somme astronomique qui contraste avec les défis économiques auxquels le Gabon fait face.
Des conditions financières toxiques
Le prêt d’un milliard de dollars octroyé par Gunvor pour financer l’opération Assala se révèle être un fardeau lourd à porter pour la Gabon Oil Company (GOC). Les taux d’intérêt sont exorbitants, approchant les 13 % pour la première partie du prêt et dépassant les 10,5 % pour la seconde. Ces taux, qualifiés d’usuraires par les experts, imposent à la GOC des remboursements mensuels massifs, la menaçant d’asphyxie financière. Une source interne à la GOC, citée par l’enquête, confirme qu’il est “impossible de soutenir un tel fardeau sans hypothéquer l’avenir”.
En plus de ces taux, Gunvor s’assure une marge confortable via un mécanisme de marge déguisée. Officiellement fixée à 0,10 dollar par baril, la marge réelle est bien plus élevée. Le négociant surévalue systématiquement ses frais et profite d’une période de 30 jours pour spéculer sur les cours mondiaux. Cette manœuvre lui permet de réaliser un gain supplémentaire pouvant atteindre 6 à 7 dollars par baril, sans aucun moyen de vérification pour la partie gabonaise.
Un accord informel qui renforce la dépendance
Ce qui rend ce contrat particulièrement inquiétant, c’est l’absence de réciprocité. Le Gabon a beau avoir célébré la “nationalisation” d’Assala, il cède en réalité une partie de sa souveraineté à un acteur privé. L’enquête révèle l’existence d’un “gentlemen’s agreement” — un accord non écrit mais tout aussi contraignant — qui donne à Gunvor une priorité sur l’achat du pétrole produit par l’État. Ce droit de premier refus pourrait se traduire par l’achat de neuf cargos supplémentaires par an, augmentant la dépendance du Gabon vis-à-vis du trader suisse.
L’affaire met aussi en lumière l’écosystème opaque dans lequel ce type de contrat évolue. Des intermédiaires peu scrupuleux, comme Mohamed Dagdag réclamant 15 millions de dollars de commissions, tentent de s’insérer dans l’opération, confirmant les fissures d’un système où l’opportunisme prime. Pour Gunvor, déjà condamné en Suisse pour corruption, l’affaire Assala montre une fois de plus la persistance d’une culture du contournement des règles de “compliance”.
En fin de compte, l’accord Gunvor-Gabon illustre une contradiction : un pays qui proclame sa souveraineté énergétique tout en la cédant à travers des clauses opaques et des taux d’intérêt toxiques. Le véritable test ne sera pas l’effet d’annonce, mais la capacité du Gabon à se libérer d’un montage que l’histoire pourrait bien juger comme une erreur coûteuse.