Par Guilou Bitsutsu-Gielessen
Le Gabon, pays d’Afrique centrale riche en ressources naturelles, se trouve à un carrefour économique critique sous la Cinquième République. Historiquement et encore aujourd’hui, son économie est fortement tributaire du pétrole, une dépendance qui, si elle a assuré des revenus substantiels par le passé, expose désormais le pays à une vulnérabilité croissante face aux fluctuations des marchés mondiaux. La diversification économique n’est plus une option, mais une nécessité impérieuse pour garantir la stabilité et la prospérité à long terme.
Une dépendance pétrolière enracinée et risquée
En 2023, le pétrole représentait environ 40 % du PIB, 68 % des exportations et 50 % des recettes fiscales du Gabon. Cette forte dépendance, héritée des années 1970, a fait du pays un archétype de l’État rentier en Afrique subsaharienne. Cependant, le pic pétrolier atteint en 1997 et la stagnation, voire la régression, de la production depuis lors, exposent le Gabon aux aléas des cours mondiaux. Bien que les prix du pétrole aient offert une bouffée d’oxygène aux finances publiques en 2023-2024, la projection d’une baisse à 70 USD/baril en 2025 (le seuil de rentabilité budgétaire de 85 USD/baril) annonce une aggravation du déficit.
Des efforts de diversification en quête de concrétisation
Malgré une volonté affichée, la diversification économique du Gabon en est encore à ses balbutiements. L’économie reste fortement ancrée sur le pétrole et le manganèse. Le secteur forestier, premier exportateur mondial d’okoumé, et le manganèse, dont le Gabon est le premier producteur mondial, contribuent à diversifier partiellement les exportations.
Le pays possède également des gisements sous-exploités de fer, d’uranium, de cuivre et de terres rares, qui pourraient jouer un rôle majeur dans la diversification future. Cependant, ces efforts sont freinés par des infrastructures insuffisantes, une bureaucratie lourde, un manque de main-d’œuvre qualifiée et un secteur privé faible, dominé par les entreprises publiques.
Le Plan national de développement pour la transition (2024-2026) ambitionne de dynamiser l’agriculture, l’industrie minière et les énergies renouvelables.
La Banque africaine de développement soutient également des projets de diversification, notamment dans l’agriculture et le numérique. La mise en œuvre réussie de ces initiatives sera cruciale pour réduire la vulnérabilité du pays aux chocs externes, aggravée par une forte dépendance aux importations de denrées alimentaires, de carburants et de biens d’équipement.
Des défis sociaux et une urgence de réformes
La situation économique se double de défis sociaux majeurs. En 2023, 34,6 % de la population vivait sous le seuil de pauvreté, un taux qui pourrait grimper à 37,8 % en 2025. Malgré un PIB par habitant relativement élevé (8 238 USD), les inégalités persistent. Le chômage, qui touche 20 % de la population active (et 40 % des jeunes), est aggravé par un accès limité aux services de base et une économie informelle significative.
Le changement de régime en août 2023 a conduit à une politique budgétaire expansionniste, avec une augmentation significative des dépenses publiques (+40 % en 2024) due notamment à un recrutement massif de fonctionnaires et à des mesures sociales. Le Gabon est ainsi passé d’un excédent budgétaire en 2023 à un déficit projeté de 5,5 % du PIB en 2025.
La dette publique, qui pourrait atteindre 78 % du PIB en 2025, dépasse le plafond de 70 % fixé par la CEMAC.
Une crise de liquidité imminente et la nécessité d’un accord avec le FMI
La dégradation de la note financière du Gabon à “CCC” par Fitch Ratings en janvier 2025 met en lumière une crise de liquidité aiguë, exacerbée par l’accumulation d’arriérés de paiement et la dépendance aux revenus pétroliers. Cette note implique un risque élevé de défaut de paiement et un coût d’emprunt prohibitif, comme en témoigne l’émission d’une obligation à 12,7 % en février 2025.
Le Gabon doit mobiliser des financements supplémentaires pour ses projets d’infrastructures et, plus urgemment, réduire ses arriérés et rétablir la confiance des créanciers.
L’élection présidentielle d’avril 2025 a retardé les réformes nécessaires, y compris un éventuel programme avec le FMI. Un accord, dont la possibilité est évoquée pour juin 2025, serait conditionné à des réformes fiscales drastiques, notamment une réduction des dépenses et une diversification économique.
Conclusion : La volonté politique, clé de la réussite
Le Gabon se trouve à un moment charnière. La réussite de sa transition économique et la stabilisation de ses finances publiques dépendront non seulement de l’ampleur des réformes structurelles mises en œuvre, mais aussi et surtout d’une volonté politique forte et pérenne à s’affranchir de la rente pétrolière, à diversifier son économie et à investir durablement dans le capital humain. Sans ces engagements, le pays risque de s’enfoncer davantage dans une crise de surendettement et d’incapacité à répondre aux besoins fondamentaux de sa population.