Ce rapport soulève des questions fondamentales sur la gestion des ressources nationales. Comment une entreprise étrangère, dont le siège est à Londres et qui est enregistrée dans un paradis fiscal, l’île Maurice, a-t-elle pu prendre le contrôle d’une telle portion du territoire en toute opacité, sans appel d’offres ni consultation des communautés locales du Basse-Banio et de Mayumba ?
Le projet Grande Mayumba remonte à 2011, deux ans après l’arrivée au pouvoir d’Ali Bongo. L’État gabonais s’associe alors à une société, SFM Africa Ltd., pour créer la Grande Mayumba Development Company (GMDC), une entreprise dont 34 % du capital est public et 66 % est privé. L’homme d’affaires sud-africain Alan Bernstein est à l’origine de cette entité, qui prendra plus tard le nom d’ACDG.
Si les promoteurs du projet avaient promis monts et merveilles — une usine de transformation du bois, une chaîne de lodges écotouristiques, une ferme ostréicole et même une plantation de canne à sucre capable de produire 250 000 tonnes de sucre par an — la réalité est tout autre. Quinze ans plus tard, le rapport de Croissance Saine Environnement révèle que la seule activité significative a été l’exploitation forestière intensive. La filiale de la GMDC, Nyanga Forestry Operations, a en effet exploité les forêts sur des terres ancestrales durant la dernière décennie, loin des promesses de développement durable.
La diplomatie environnementale au service du pouvoir
À partir de 2019, encore convalescent après un accident vasculaire cérébral, Ali Bongo fait un retour remarqué sur la scène internationale, misant sur la diplomatie environnementale. L’objectif est clair : se positionner comme le champion de la lutte contre le dérèglement climatique pour redorer le blason d’un régime affaibli. L’architecte de cette stratégie de « greenwashing » n’est autre que Lee White, le ministre de l’Environnement de l’époque, qui entretient des liens étroits avec la famille présidentielle.
En septembre 2021, le gouvernement, s’inspirant du modèle norvégien, propose de permettre aux entreprises de monétiser les projets de compensation carbone. L’idée est de vendre le « crédit carbone » gabonais à des entreprises, notamment européennes, désireuses de compenser leurs émissions. La Norvège avait déjà montré la voie en s’engageant, en 2019, à verser 150 millions de dollars au Gabon, dont 17 millions ont été versés en juin 2021 en toute opacité.
La société ACDG aurait-elle servi de laboratoire pour cette vente de crédits, prétendant avoir évité l’émission de 200 000 tonnes de carbone ? Le rapport met en lumière l’opacité qui entoure ces transactions, dénoncée de longue date par les ONG locales, toujours tenues à l’écart par l’administration de Lee White.
Un changement de garde et des relations troubles
En 2022, un conflit éclate entre Alan Bernstein et ses partenaires privés, le forçant à se retirer. De nouvelles figures prennent les rênes : la famille iranienne Sarikhani, son gendre anglais Guy Weston, et un certain Blondel, un complice français dont la mission serait d’influencer les administrations gabonaises.
C’est alors que Lee White lui-même, accompagné de son bras droit Josh Ponte — un Anglais ayant participé à la création de 13 parcs nationaux en 2002 — commence à représenter la société ACDG pour la vente de ses crédits carbone. Des sources indiquent que les dirigeants de l’ACDG avaient des relations privilégiées avec le pouvoir, allant jusqu’à recevoir le président Ali Bongo et sa famille dans leur domaine de chasse à Londres.
Dans un prochain article, nous reviendrons en détail sur le cahier des charges de la société ACDG et les promesses qu’elle n’a jamais tenues.