« Mort à huis clos » : Le rapport choc sur la plateforme Becuna
Intitulé « Mort à huis clos », le rapport de l’EIA US, publié le 21 mai, accuse directement Perenco d’être responsable de la mort de six de ses agents dans l’explosion de la plateforme pétrolière Becuna. Cet accident offshore, le plus meurtrier jamais enregistré en Afrique, aurait pu être évité selon Rekoula. « Cette enquête a révélé clairement que la catastrophe pouvait être écartée si et seulement si Perenco mettait en place les mesures véhiculées de bonne gestion de sa plateforme, si Perenco mettait en place les process de sécurité qu’il fallait, surtout que concernant Becuna, des signaux avaient été décelés de la part des travailleurs, avaient été remontés à la direction de Perenco, qui, une fois de plus, les a minimisés, mettant en avant le profit plutôt que la sécurité et le travail dans de bonnes conditions », affirme-t-il.
Rekoula dénonce des « pratiques peu conventionnelles » de la part de Perenco, où « la sécurité des hommes et la maintenance du matériel est reléguée au profit économique, au profit de l’exploitation, enfin, de ce que le pétrole leur génère ». Il souligne l’impunité dont semble jouir l’entreprise au Gabon, contrastant fortement avec ses agissements en Europe. « Le même Perenco, en Europe, n’hésite pas à dédommager, par exemple, l’une des victimes, à savoir cet ingénieur français, de façon rapide. Et très cher. Mais au Gabon, voilà, les parties gabonaises sont abandonnées à leur sort. Les victimes ont failli être enterrées comme des malpropres et autres. »
Une complicité étatique dénoncée et des conséquences sanitaires alarmantes ?
Le militant pointe du doigt un « silence complice de l’État » et des autorités gabonaises, censées protéger leurs citoyens. Il estime que cette complaisance s’explique par la dépendance du Gabon aux revenus pétroliers, faisant de Perenco le premier producteur de pétrole du pays. Cette situation conférerait à l’entreprise une « certaine impunité ».
« À chaque fois que Perenco est épinglé, à chaque fois qu’il y a des éléments qui, dans un pays normal, feraient en sorte que cette entreprise soit à la limite, suspendue, le temps que de réelles enquêtes soient menées, le temps que les choses soient rectifiées, à chaque fois, Perenco s’en sort toujours », s’indigne Rekoula.
Au-delà des accidents directs, Bernard-Christian Rekoula met en lumière les conséquences à long terme des pratiques de Perenco sur la santé des populations. L’exposition à de l’eau contaminée aux hydrocarbures et l’inhalation régulière de sulfure d’hydrogène (H2S) seraient à l’origine d’une augmentation anormale des cancers au Gabon, particulièrement dans les régions d’exploitation minière. « Exposer des populations à l’utilisation courante d’une eau contaminée en matière d’hydrocarbures, en faire respirer régulièrement à ces populations du sulfure, du H2S, c’est créer des cancers à long terme. C’est créer des cancers à long terme qui feront en sorte que le gouvernement verra sa facture de sécurité sociale augmenter. Le Gabon a un boom anormal de cancers. Et notamment dans ces régions d’exploitation minière. Et ce n’est pas une coïncidence, ce n’est pas un hasard », insiste-t-il, appelant les autorités à appliquer les mêmes normes environnementales et de sécurité qu’en Europe.
Combats passés et désillusion face au nouveau régime
Rekoula n’en est pas à son coup d’essai. Avec le ROlBG (Réseau des Organisations Libres pour la Bonne Gouvernance au Gabon), il avait déjà déposé plainte contre Perenco au Gabon. Malgré les obstacles, ils avaient obtenu gain de cause sur la recevabilité de la plainte. « J’ai personnellement été entendu et auditionné au tribunal de Port-Gentil en compagnie de Nestor Aworet, le PDG adjoint de Perenco, en présence de 16 avocats, en présence de M. Georges Mpaga, en présence de M. Akendengue, député sortant indépendant d’Omboué », raconte-t-il. Lors de cette audience de huit heures, des preuves photographiques et vidéo sur une période de trois ans ont été présentées, démontrant les agissements de Perenco. « Nous avons pu démontrer que Perenco est une entreprise voyou. Oui, parce qu’il faut dire le terme », assène Bernard-Christian Rekoula. Le procureur de Port-Gentil de l’époque, qui avait incarcéré le DG adjoint et le directeur des opérations de Perenco, avait ensuite été dessaisi de l’affaire et muté. « Voilà les réalités du Gabon », déplore-t-il.
Il mentionne également une catastrophe majeure au terminal pétrolier du Cap Lopez, que Perenco avait tenté d’étouffer, et une autre fuite de pétrole brut à Omboué. « Le pire, le comble de l’ironie, c’est qu’au même moment, à plus de 100 kilomètres de là, dans les forêts à Omboué… Et il y avait encore une catastrophe majeure dans les forêts depuis plus d’une semaine. Du pétrole brut s’écoulait et s’écoulait dans la forêt sur près d’un kilomètre, ralliant les marécages et cours d’eau », détaille-t-il.
Malgré le changement de régime et ses espoirs initiaux, Bernard-Christian Rekoula exprime sa déception quant à l’attitude du Général Oligui. « Je suis personnellement attristé du fait que le général Oligui et moi, lorsqu’on s’est rencontrés il y a un an, c’était justement sur la question du pétrole, sur la question du Perenco. Le général Oligui s’était personnellement engagé à changer des choses. Aujourd’hui, je vois qu’il a fait volte-face », regrette-t-il, s’interrogeant sur l’influence du pouvoir économique pétrolier. « Est-ce parce que pour mener à bien sa politique, il a besoin d’argent frais que seuls les pétroliers, notamment Perenco… Mais à quoi bon prendre de l’argent dans ces conditions, si en même temps, c’est pour laisser le peuple mourir ? » Face à cette situation, Rekoula et les ONG qui le soutiennent promettent de prendre leurs responsabilités. « Beaucoup seront surpris », conclut-il, laissant présager de nouvelles actions en justice et une possible internationalisation du dossier.