Par Pharel Boukika, Journaliste, acteur politique, Candidat aux élections locales et législatives 2025
Après l’euphorie, le vertige d’une gouvernance vacillante
Il arrive un moment où l’État, malgré toutes ses tentatives de mise en scène, ne peut plus dissimuler l’évidence. Le pays est précisément à ce moment-là : celui où les artifices institutionnels se fissurent, où les récits enjolivés se heurtent à la lourdeur implacable de la réalité des faits. L’euphorie d’apparat a cédé la place à une stupeur glacée. Les Gabonais découvrent que derrière les rideaux soigneusement tirés, les mécanismes de gouvernance vacillent, hésitent, se contredisent et trébuchent. Cette lucidité collective, brutale mais salutaire, marque la fin d’une illusion patiemment entretenue. Les artifices protocolaires, les promesses scandées comme des litanies, les certitudes martelées comme des axiomes intangibles, s’effondrent désormais sous le poids d’une réalité que nul discours, aussi présidentiel soit-il, ne peut plus maquiller
Le Président de la République, Chef de l’Etat lui-même, qui affirmait avec une légèreté presque désarmante, durant la campagne, que « le pays a suffisamment d’argent pour affronter tous les défis », découvre aujourd’hui l’immense imprudence de cette déclamation. Car moins d’un an après son élection, le même pouvoir se découvre soudain démuni, invoque des contraintes budgétaires dramatiques de la réalité des populations, prend des mesures qui font suffoquer le peuple et en appelle à la patience nationale. Cette volte-face n’est pas un simple dérapage, c’est l’aveu spectaculaire d’une gouvernance déconnectée, dépassée, profondément impréparée, à la réalité de l’État qu’elle prétendait maîtriser.
La responsabilité politique, elle, ne s’évapore pas au gré des difficultés. Ceux qui ont demandé, réclamé, et obtenu le pouvoir presque absolu, ont l’obligation morale, juridique et institutionnelle d’assumer leurs engagements. Or, c’est cela le plus inquiétant, les Gabonais assistent, médusés, à une cascade d’erreurs de pilotage, de maladresses stratégiques et d’incohérences qui ne relèvent plus de la maladresse, mais plutôt d’un défaut structurel de compétence. Ce qui était présenté comme une rupture historique s’apparente désormais à une succession de décisions improvisées, prises hors de toute méthodologie administrative, sans vision, sans trajectoire, saupoudrés de mensonges et bâti sur de l’enfumage.
Pendant ce temps, des familles récemment déguerpies errent dans un stade, dormant à la belle étoile, privées du minimum qui avait redonné dignité et sécurité à tant de Gabonais. Ce contraste cruel entre discours officiels et misère tangible illustre à lui seul l’écart abyssal entre promesses et réalité. Et que dire de la fameuse « Restauration des Institutions », un mirage, mieux un vœu pieux.
Pour la première fois de son histoire, le Gabon se voit contraint de répondre devant la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples à la suite de la requête jugée recevable des avocats de Hervé Patrick Opiangah. C’est à travers cette réalité, toute la mise en scène institutionnelle qui vacille. Avant cette affaire, le procès de Bongo Valentin a exposé dans le détail les angles morts d’une justice instrumentalisée et d’une administration incapable d’affirmer une ligne claire. Deux affaires qui, loin d’être des épiphénomènes, dévoilent les fissures profondes d’un État de droit en lambeaux.
Plus préoccupante encore est la disparition soudaine des doctrinaires et thuriféraires qui, hier, prêchaient la transformation fulgurante et vilipendaient quatorze années de gouvernance antérieure en se posant en redresseurs providentiels. Ils promettaient monts et merveilles, accusaient l’ancien régime d’avoir masqué des richesses colossales, et affirmaient pouvoir débloquer en quelques semaines, ce que d’autres n’avaient jamais pu faire. Aujourd’hui, ces mêmes voix se sont tues. Non par prudence, par impossibilité surtout de défendre l’indéfendable. Le silence est devenu leur seule stratégie de survie politique.
Ce moment de vérité n’est pas une crise de communication. Il est le résultat direct d’une défaillance institutionnelle profonde. Absence de planification, méconnaissance des mécanismes d’État, confusion permanente entre urgence politique et urgence médiatique. Le populisme, qui fut un instrument de conquête, se révèle un désastre de gestion. Car un pays n’est ni un slogan, ni une promesse électorale, ni un plateau télévisé. C’ est une architecture complexe qui exige rigueur, compétence, discipline, sincérité et sens du devoir.
Désormais, l’heure n’est plus aux illusions. La nation observe, juge et attend. Le pouvoir, qui a usé et abusé de la confiance populaire, devra rendre des comptes, non pas aux illusions qu’il a fabriquées, mais à la République qu’il prétend servir. Les prochains mois ne seront pas seulement un test de gouvernance, ils seront le verdict politique d’un régime qui a trop promis, trop simplifié, trop surestimé ses forces, et qui découvre aujourd’hui que l’État, lui, ne pardonne ni l’improvisation, ni l’incompétence encore mois la médiocrité.










