L’idée de scruter les zones d’ombre de l’ère déchue n’est pas une nouveauté. Elle est même devenue un test de la volonté de transparence dans le contexte de la Transition. La proposition d’établir une Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR), censée apporter des réponses aux Gabonais, a été élaguée lors du Dialogue National Inclusif (DNI) de 2024, écartant ainsi une solution globale.
Avant cela, l’insistance de personnalités politiques influentes n’avait déjà rien donné. L’ancien Premier ministre Alain-Claude Bilie-By-Nze avait été l’un des rares à en faire la demande publiquement, sans succès. De même, Paulette Missambo, en sa qualité de présidente du Sénat de Transition, avait vu sa requête se heurter au silence des institutions. Ces précédents démontrent une tendance institutionnelle forte : la préférence pour la table rase politique au détriment de l’examen minutieux des responsabilités passées et des dysfonctionnements majeurs de l’État.
Fort de ce constat d’échec sur les tentatives d’une vérité globale, Jean Gaspard Ntoutoume Ayi a décidé d’adopter une approche plus ciblée et procédurale. Dans une interview accordée à notre rédaction, il a annoncé son intention de saisir formellement le Bureau de l’Assemblée Nationale pour obtenir la constitution d’une Commission d’enquête Parlementaire.
L’objet de l’enquête est strictement délimité : « faire toute la lumière sur le rôle des institutions de la République au lendemain de l’AVC d’Ali Bongo ». Il s’agit de mettre en évidence les failles institutionnelles et les responsabilités dans la gestion de l’incapacité du chef de l’État après 2018, une période marquée par la confusion constitutionnelle et le soupçon de confiscation du pouvoir par un cercle restreint.
La faisabilité de cette commission repose entièrement sur la décision du Bureau de l’Assemblée Nationale. C’est ici que l’appel à la vérité se heurte à la réalité du jeu politique actuel.
Le Bureau est d’abord majoritairement dominé par l’Union démocratique des bâtisseurs (UDB), le parti se réclamant des idéaux de l’actuelle transition. Si l’UDB cherche la légitimité populaire, elle pourrait voir dans cette enquête un risque de déstabilisation ou une réouverture inopportune de dossiers. De plus, l’instance comprend également d’anciens collaborateurs du président déchu Ali Bongo. Ces personnalités, ayant potentiellement joué un rôle durant la période post-AVC, ont un intérêt évident à ce que la lumière ne soit pas faite sur leurs actions de l’époque.
La question est de savoir si l’Assemblée Nationale, dans sa composition actuelle, est prête à s’auto-incriminer ou à exposer publiquement des défaillances qui pourraient entacher la légitimité de certains de ses propres membres ou des figures de la Transition.
La démarche de Jean Gaspard Ntoutoume Ayi, bien que courageuse et légitime, s’inscrit dans un contexte institutionnel très hostile. Face à un Bureau qui représente à la fois la rupture et une certaine continuité des réseaux politiques, l’action du député risque fort de se heurter à une fin de non-recevoir politique.
L’appel de Ntoutoume Ayi pourrait malheureusement rester une voix isolée. Le sort de cette commission d’enquête dira si la Transition est prête à regarder son passé en face ou si elle choisit, elle aussi, de perpétuer le déni de vérité sur les moments les plus sombres de la République.










