Ayant vécu de l’intérieur l’âge d’or de l’OPT avant sa fragmentation, Pierre a été aux premières loges des turbulences qui ont secoué l’institution. Le premier plan social, orchestré en 2006 par l’ancien PDG Hervé Fulgence Ossamy, a entraîné le départ de plus de 500 employés. Pourtant, ce n’est pas le nombre de départs qui le sidère le plus, mais la gestion calamiteuse de ces plans. “Les clauses de ces deux plans sociaux n’ont pas été déployées, déroulées comme on le souhaitait”, regrette-t-il amèrement.
Le second plan, celui de 2008, est gravé dans sa mémoire avec une douleur particulière. Conduit cette fois-ci par des acteurs marocains, Pierre en a été lui-même une victime. Ce plan a été mis en œuvre sous la direction de Moustapha Laarabi, directeur général de Gabon Télécom, l’entité déjà cédée à Maroc Télécom.
Le point culminant de cette “tragédie” est survenu le 30 août 2008. Convoqués à l’immeuble Bercy, les agents ont été contraints de percevoir leur solde de tout compte sous la pression du conseiller technique du ministre de la Privatisation de l’époque, Jean-Marie Ogandaga. Une menace implacable planait sur eux : ne pas retirer ce solde ce jour-là équivalait à perdre définitivement tous leurs droits.
Le choc fut d’autant plus brutal que la durée de service de chaque employé, certains ayant consacré plus de 13 ans de leur vie à l’OPT puis à Gabon Télécom, a été arbitrairement ramenée à seulement 24 mois pour le calcul de leurs droits. Cette décision a eu des conséquences humaines dévastatrices. “Je pense que c’est ce qui explique le choc qui fait que certains d’entre nous, aujourd’hui, sont victimes d’AVC, de maladies de l’âme, de tension artérielle, de diabète et de tout le reste”, confie l’ancien agent, la voix nouée. “D’autres ont perdu leur foyer, leur famille, et même d’autres ont divorcé, sans compter les décès que nous enregistrons pratiquement tous les jours.”
Dix-sept ans d’attente pour la justice
L’ancien cadre se remémore également une anecdote des plus révélatrices : la décision de rétrocéder l’entreprise au Roi du Maroc, Hassan II, aurait été prise par le président Omar Bongo lors d’un séjour au Maroc, “autour d’un déjeuner ou d’un repas au bord d’une piscine”, faisant fi du moindre appel d’offres.
En 2008, 752 personnes ont été licenciées par Gabon Télécom, alors sous le contrôle de Maroc Télécom. Forts de documents cruciaux découverts en 2009, ces anciens employés, ainsi que les ayants droit des défunts, ont décidé d’attaquer le gouvernement gabonais et Gabon Télécom devant les tribunaux. Dix-sept ans plus tard, la lutte acharnée continue. “Nos chaussures s’usent entre les juridictions gabonaises et nos maisons”, témoigne-t-il, soulignant la persévérance inébranlable d’un groupe qui exige toujours le respect de ses droits les plus fondamentaux.
Alors que la commission économique et financière du Dialogue national inclusif, dans ses conclusions présentées fin avril 2024 au président de la Transition, Brice Clotaire Oligui Nguema, au Palais Rénovation, a appelé à la nationalisation du leader des télécoms Gabon Télécom, la question demeure : combien de temps faudra-t-il encore pour que la justice soit enfin rendue à ces hommes et ces femmes ?